... How low can you go
Galerie Bodson, Bruxelles

15.05 - 14.06.2014


Pour sa deuxième exposition personnelle à la Bodson Gallery, Simon Nicaise réunit un ensemble de pièces témoignant de l’inscription de son travail dans une esthétique convoquant autant l’univers de la construction (le chantier mais aussi l’atelier) que celui de la sphère domestique, et qui s’épanouit aussi bien dans une forme de poésie du quotidien que dans une relecture affectueuse de l’histoire de l’art. Ses sculptures manifestent en effet parfois une « poésie fleur bleue », selon l’expression retenue par l’artiste pour décrire sa production comme on le ferait d’un tube de variété. Cette dimension populaire s’accorde bien avec son utilisation d’objets ready-made et de matériaux choisis non pas pour leur noblesse mais avant tout pour leur disponibilité.

Les objets qu’il s’approprie, Simon Nicaise travaille autant à en signaler la familiarité qu’à chercher à en contrarier les usages, parfois jusqu’à en invalider la fonction. Comme à la maison, le balai est posé contre un mur (Résident, 2012) non loin d’un clou attendant qu’on y accroche un tableau, le trousseau de clés (Poésie du sans titre, 2012), la ceinture (Verticale du lieu, 2013) y sont également accrochés tandis que la porte est désespérément encore entrouverte (Contrainte de cisaillement, 2012). A y regarder de plus près néanmoins, six clous sont cloués les uns aux autres (Méditation convulsive, 2013), le balai a attiré magnétiquement les débris métalliques de l’atelier et la matrice des clés de l’artiste n’a pas été gravée, si bien qu’elles n’ouvrent plus grand-chose, et certainement pas cette porte qui se rabat mécaniquement sur un os en plastique comme pour mieux en apprécier les couinements répétés. De fait, la domesticité chez Simon Nicaise semble toujours étrangement habitée, comme si elle n’était jamais tout à fait solidement ancrée au réel, discrètement ouverte à quelques décrochages fictionnels.

Chez l’artiste, lieu de vie et de travail sont intimement mêlés, le linge n’étant jamais très loin des parpaings ou des engins industriels. L’image de l’atelier comme chantier sied idéalement à la pratique de l’artiste qui manifeste un intérêt évident autant pour ses matériaux et machines que pour ses finalités propres : construction et démolition. Ainsi, la série Première pierre, amorcée en 2011, consiste en une collection reconstituant des premières pierres scellées lors d’inaugurations de chantiers. Posée symboliquement par un représentant officiel, elle revêt la fonction paradoxale d’objet d’apparat, alors qu’elle ne sera en aucun cas utilisée lors de la construction du bâtiment et sera détruite par la suite. Disposée sur un mur de parpaings, à la manière d’un autel, la pierre convoque la mémoire d’un bâtiment anonyme dont Simon Nicaise n’évoque, comme seule information, que la ville où il fut construit. A l’inverse, avec Pelote de mur (2012), l’artiste s’empare du contexte d’exposition, le white cube, pour en corrompre de manière absurde la matérialité.

Lorsque Simon Nicaise est amené à parler de son travail, il convoque souvent l’image du prestidigitateur, cet homme de spectacle dont le métier, passablement ringardisé aujourd’hui au sein de l’industrie du divertissement, est justement de créer de la poésie par le biais d’opérations virtuoses, mystérieuses, défiant toute rationalité. En jouant des propriétés physiques de certains objets et matériaux ainsi qu’en maltraitant certains principes mathématiques, on retrouve chez l’artiste cette même volonté d’élaborer des figures impossibles, irrationnelles. Tracer un carré au compas ((50+(8ln(x)x6,5) 13n) / (V5+7yn) = O², 2011), extraire une bulle de savon d’une seringue (Sans titre, 2014), suspendre des cendres sur un mobile (Mobile, 2012), faire tenir une corde droite alors qu’elle n’est amarrée à aucun point de fixation (dans une version modifiée de sa sculpture Elongation de 2008) sont quelques-unes de ses actions conjurant les lois élémentaires qui régissent notre bas monde. C’est aussi le cas avec ces tessons de bouteilles (Sans titre, 2014) dont il dépoétise le processus naturel de polissage (provoqué à l’origine par les vagues et les embruns ainsi que leur brassage dans le sable et les rochers) par un procédé industriel l’accélérant bruyamment et brutalement. Mais il arrive néanmoins qu’il finisse par accepter certains principes physiques élémentaires comme la pesanteur avec cette ceinture (Verticale du lieu, 2013) droite comme un I car lestée de plombs de plongée : …How low can it go ? A l’entrée de l’exposition, avec ses deux cariatides mises en tension, l’artiste invite par ailleurs le spectateur à mesurer ses aptitudes physiques par un sympathique exercice de limbo : …How low can you go ?

Si certains objets de Simon Nicaise semblent tout droit sortis du Catalogue des objets introuvables (publié en 1969) de Jacques Carelman, d’autres éléments de sa pratique, en revanche, proviennent du champ de l’histoire de l’art et plus particulièrement du répertoire bien identifié de l’art minimal et conceptuel. Il y a d’abord sa relecture « camping » des Tournesols de Van Gogh où les fleurs chères au peintre ont été remplacées par les brûleurs d’une gazinière (Sans titre, 2014). L’artiste va encore plus loin dans la pratique citationnelle avec la série +1. En effet, depuis quelques années, l’artiste a entamé une collection de reproductions quasi-identiques d’œuvres iconiques de l’art minimal et conceptuel dont Donald Judd, Carl Andre, Sol LeWitt ou encore Dan Flavin sont les figures tutélaires. Quasi, car Simon Nicaise décide d’en perturber la perfection formelle et la logique sérielle en y ajoutant une unité supplémentaire, une « erreur » si l’on considère leurs principes fondamentaux et la rigueur conceptuelle qui les gouvernent. Faire passer d’un nombre pair à impair les éléments structurels des Stacks de Donald Judd (comme Simon Nicaise le fit avec Sans titre (Stack piece), 2010) relève du contre-sens absolu, tout principe de composition ayant été éliminé par l’artiste américain. C’est justement ce qui intéresse ici Simon Nicaise qui joue autant d’un inévitable effet de déjà-vu que sur l’introduction d’une donnée proscrite par ces artistes : celle du sentiment, de l’affect. Ce geste simple, en forme d’attentat amoureux, possède quelque chose de profondément perturbant, dissonant.

Parce qu’il y a littéralement du bruit dans l’exposition, Simon Nicaise étant venu avec son big band de machines célibataires mettre un peu d’ambiance dans la galerie. Sa formation – un synthétiseur, une porte et son os en plastique pour chien, un polisseur vibrant pour minéraux – joue une symphonie bruitiste appareillant les pièces entres elles, un peu à la manière de Fixation évasive (2010) auparavant, où l’artiste avait ré-aggloméré ses œuvres en déposant sur elles une fine couche de poussière recueillie dans son atelier et recrachée par une bouche d’aération. Cette nappe envahissante, inconfortable donne une cadence infernale à l’exposition, sa musique d’ambiance. La section rythmique est assurée par le couinement d’un os en plastique pour chien tandis que le bruit puissant des tessons de bouteilles et des pierres abrasives qui se frictionnent dans le polisseur vient caresser les oreilles des spectateurs. Et comme Simon Nicaise est fin mélomane, il donne à entendre sa première (et dernière ?) composition pour synthétiseur – Et tu tapes, tapes, tapes, c’est ta façon d’aimer en 2010, un bouquet de fleurs martyrisé par un mécanisme rotatif, nous avait déjà renseigné sur ses goûts pointus – qu’est sa Note tenue (2013), où la touche La d’un synthétiseur est maintenue par un serre-joint. Où l’on voit, in fine, que Simon Nicaise n’est pas uniquement le metteur en scène d’un petit théâtre d’objets mais aussi un prestidigitateur et un musicien. Un véritable homme-orchestre, un show man.

Mathieu Loctin


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